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Pékinoscope
11 juillet 2006

Laogu

Laogu, c'est ma voisine. Elle doit avoir un peu moins de soixante ans. C'est sûrement la personne la plus énergique du quartier. Elle a une voix de stentor, que l'on entend à l'autre bout de la rue lorsqu'elle appelle son chien, Harry Potter. Et si je ne m'abuse, elle doit faire partie du comité de quartier. En gros, dans la rue, c'est le chef. Bon d'accord, il y a trois maisons, mais quand même.
Elle habite la maison mitoyenne avec la nôtre. Mais on pourrait presque dire qu'elle habite chez nous. En fait tout le quartier habite un peu chez nous... Elle a les clés (je ne sais pas trop qui les lui a données), elle rentre à peu près comme elle veut dans la cour, et puis de toute façon c'est normal car les plantes qui sont là lui appartiennent en majorité. Elles étaient trop à l'étroit chez elle. Parfois quand je me lève le matin, Laogu est là en train de rempoter je ne sais quelle plante avec du compost de sa fabrication.
Je n'ai jamais réussi à comprendre quand elle dormait. Le matin quand on se lève (ou parfois quand on se couche) elle est déjà levée, le soir elle joue aux cartes avec les voisins dans la rue, bref elle est toujours là. Du coup la rue est très sûre, elle est surveillée en permanence. Elle est toujours au courant de tout, nos allées et venues, qui est passé dire bonjour, qui emménage, qui fait quoi, c'est la reine des potins.
Quand notre coloc chinoise a besoin de conseils de cuisine, Laogu lui file ses recettes et vient verifier que les galettes sont de la bonne épaisseur. L'autre jour nous avions un reste de viande, elle nous a aidés à faire des raviolis avec. Et puis parfois elle nous apporte de bons petits plats, non sans nous faire remarquer que quand même neuf personnes à nourrir, c'est beaucoup! Ce qui ne l'a pas empêchée de préparer avec nous 400 brochettes pour le dernier barbecue.
Parfois elle vient nous voir le soir sans raison particulière, on discute un peu, beaucoup, toute la soirée. L'autre jour elle nous a raconté l'histoire de notre cour. On ne sait pas exactement depuis combien de temps des gens vivent sur cette portion de terrain. Quelques milliers d'années, sans doute. En tous cas la plupart des maisons datent ici des années cinquante. Ou peut-être plus. Elle y a passé son enfance. Il y avait d'abord une très grande famille, qui se partageait les différents pans de la cour (vous savez, quatre générations, tout ça). Et puis il y avait des bâtiments de partout, serrés autour de l'arbre, pour réussir à abriter tout le monde. A peine la place pour circuler. Finalement, la famille est partie, la cour a été vendue, les bâtiments supplémentaires abattus, d'autres construits, et le nouveau propriétaire a loué les locaux.
Pendant ce temps-là Laogu, elle était à Tangshan dans le Hebei. Tangshan c'est là où a eu lieu le grand tremblement de terre de 1976, juste après la mort de Mao. Elle y a vécu dix ans, à partir de ses quinze ans, vers 66-76. Son père était "noble", il était Mandchou. Sa mère était d'une famille de petits propriétaires terriens. Pas un très bon passif lors de la révolution culturelle. Il fallait donc partir à la campagne pour apprendre à devenir de bons prolétaires. La maison est restée, mais pas son contenu précieux.
Quinze ans en principe, c'est le moment où on commence à étudier. A vingt-cinq ans, c'est trop tard. C'est à peine si on entend le regret dans sa voix. C'est comme ça... Mais qu'est-ce qu'on est bien sous l'arbre. Est-ce que je peux venir gauler les jujubes avant que les oiseaux ne les mangent?
Et c'est reparti.

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