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Pékinoscope
23 juin 2006

Shifu (chef!)

Avant dans Pékin il y avait plusieurs tarifs pour prendre le taxi. Les trois premiers kilomètres coûtent toujours 10 RMB soit environ 1 euro, et ensuite, selon la qualité de la voiture, le tarif était de 1.20 ou 1.60 RMB. Les taxis les plus chers étaient généralement des ZX Citroën rouges, assez confortables, et de plus en plus souvent climatisées. Mais les taxis les moins chers, et donc mes préférés, étaient d'une marque chinoise qui sappelle Xiali. C'était des petits pots de yaourt sans âge, sans clim, toutes petites et bringuebalantes. Ces voitures, on les voyait arriver de très loin, avec leur petit air pitoyable à côté des Mercedes des particuliers fortunés. Et si par hasard on les distinguait mal dans la nuit, à tout le moins il était facile de les reconnaître au bruit car il y avait toujours un pot d'échappement qui tombait ou une portière qui vibrait. On avait appris à les repérer, le grand jeu étant de ne jamais payer 1.60 RMB le kilomètre. On avait appris également à claquer les portières très fort car elles étaient toutes plus ou moins cassées. et puis à oublier tout réglage de la hauteur des fenêtres, à glisser nos billets à travers la grille de protection du chauffeur...

En général on pouvait dire que le chauffeur ressemblait à sa voiture. Plus elle était belle, plus il avait la classe. Et inversement... Dans une Xiali, le chauffeur connaissait généralement très bien Pékin. Il entendait la destination, criait un joyeux 'haode" (tres bien!), et partait d'un air enthousiaste au volant de son tacot. Puis venaient les questions: de quel pays tu viens, qu'est-ce que tu fais en Chine, tu as quel âge, est-ce que tu es mariée... Alors il me glisse "il faut que tu trouves un copain chinois" avec un petit sourire malin. Parfois je commence à dire que non, la place est prise, mais il me regarde d'un air entendu, balaie mon objection d'un geste du bras et me dit "mais non! ce sera mieux en Chine, il faut rester et t'installer ici, tu verras!". C'est souvent à ce moment-là qu'il baisse sa vitre, se racle bruyamment la gorge, crache un bon coup dans la rue, et remonte sa vitre.

Puis il reprend la conversation si bien entamée. "Les Chinois et les Occidentaux, ils peuvent faire des enfants ensemble, j'en ai déjà vu, c'est vrai! Mais il y a quand même une chose que je me demande... Il y a des Africains aussi, et des... Enfin des Noirs quoi, et puis des Arabes... Est-ce qu'ils peuvent aussi faire des enfants avec des Blancs ou des Jaunes comme nous?" Euh... Oui, ça arrive souvent... "Mais alors... Ils sont de quelle couleur les enfants?"

Ensuite je dois dire quelle langue je parle, car ici ce n'est une évidence pour personne qu'en France on parle français. "Et alors l'anglais, vous ne le parlez pas dans la rue? Ah bon, c'est comme nous alors, vous l'apprenez à l'école..." "Et combien tu gagnes? Et combien coûte un billet d'avion etc...".

Parfois c'est moi qui pose les questions. Moi aussi je suis curieuse. Une fois j'ai demandé au chauffeur combien d'heures il avait travaillé ce jour-là, il m'a répondu qu'il en était à sa douzième heure... Finalement j'aurais peut-être mieux fait de me taire. Mais du coup j'ai attaché ma ceinture. Ils s'insurgent toujours dans ces cas-là: "Mais non, ça ne sert à rien la ceinture, enlève-là, en plus elle est toute poussiéreuse et tu vas te salir!". Mais c'est bizarre, j'ai quand même l'impression qu'il vaut mieux...

C'est avec les chauffeurs de taxi que l'on apprend le chinois au début. Les premiers jours on ne parle que trois mots, alors ils ne comprennent rien à ce qu'on raconte, et puis ils ont en général un accent pékinois très fort, très guttural, donc on ne comprend rien non plus. Mais souvent le contact passe bien quand même. Et puis au fur et à mesure que l'on fait des progrès, le contact devient plus riche et on peut avoir des conversations vraiment marrantes. Passé les questions sur la nationalité, l'âge, l'activité, on en vient parfois à aborder des sujets très intéressants.

L'autre jour par exemple on parlait du mode de vie français, des difficultés pour obtenir des prêts, acheter son logement, ce genre de questions qui nous ont fait remarquer que tout de même, d'un bout à l'autre du monde, les gens se posent les mêmes questions. Et nous avons tellement bien discuté qu'à la fin du trajet le chauffeur m'a serré la main, tout content. Et moi aussi j'étais toute contente de cette rencontre sympathique, et je suis arrivée au restaurant japonais toute guillerette.

Mais tout cela est différent maintenant. Les JO approchant, le parc entier des voitures est renouvelé. Désormais nous roulons presque tous dans des voitures coréennes, jaunes et mauves ou vertes et jaunes. Elles sont super-confortables, toutes climatisées, elles sentent encore le plastique neuf. Et en plus les tarifs officiels ont été revus à la hausse. Désormais, c'est 2 RMB par kilomètre, quel que soit le véhicule. Alors nous avons tous un peu la nostalgie de nos bons vieux pots de yaourt.

Mais les chauffeurs sont toujours les mêmes, il y en a un qui m'a confirmé qu'on avait récemment troqué sa Xiali contre une coréenne. Il a changé radicalement de conditions de travail du jour au lendemain. Et il ne crace plus, ni ne fume, dans sa voiture. Les temps changent. Mais cela ne l"empêche pas de poser les mêmes questions qu'avant, d'avoir toujours le même accent incompréhensible, et d'être toujours aussi sympathique. J'ai une affection particulière pour les chauffeurs de taxi.

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