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Pékinoscope
17 septembre 2006

Communauté

Ces derniers temps nous avons été victimes de harcèlement à la maison. Une espèce de folle s'est mise à frapper à notre porte assez fréquemment vers huit heures du matin.

L'histoire c'est que l'un de mes colocataires est en train de rénover une cour juste à côté de chez elle, ce qui entraîne inévitablement quelques désagréments, comme le bruit des travaux le week-end par exemple, ou le passage de matériaux de construction et de démolition dans sa ruelle. Mais ce n'est toujours que la énième cour en rénovation dans la rue, à en juger par les tas de sable qui la parsèment de bout en bout. Et ce sans compter les rénovations que la dame a effectuées elle-même l'an dernier, dérangeant allègrement ses voisins. En fait le Hutong entier se refait un lifting à grands coups de pelleteuse.

Mais cette dame, qui est parfaitement éduquée, internationalisée, anglophone, a décidé que mon ami la dérangeait et qu'elle allait se battre contre cette intrusion scandaleuse dans son voisinage. Elle saisit donc chaque occasion pour appeler la police et se plaindre de tapage diurne, encombrement de la chaussée etc... C'est déjà arrivé au moins trois fois à ma connaissance, résultant à chaque fois sur le constat qu'il n'y a pas de grave infraction, et le départ du policier, qui finit par devenir une vieille connaissance.

Voyant cela, la dame enrage chaque jour un peu plus et a décidé de régler le problème elle-même par la voie du harcèlement. Dès qu'elle est énervée par un détail, elle fonce donc chez nous pour tambouriner à la porte et hurler à la cantonnade que mon ami se croit tout permis parce-qu'il est étranger et que c'est un salopard. Pour quelqu'un qui a vécu 30 ans au Japon (elle), l'accusation est un peu grosse. Lorsque ce genre de crise lui prend, elle vient, frappe et crie aussi fort qu'elle peut jusqu'à se faire mal aux mains et à la gorge aussi j'imagine. Avec le temps nous avons arrêté d'ouvrir, surtout quand l'intéressé n'est pas là, et du coup elle se jette contre la porte de tout son poids. Elle va finir par nous l'abimer un de ces jours...(on se croirait dans Sans Aucun Doute, c'est terrible...)

Là où le fait divers prend une autre tournure, c'est qu'un jour nos voisins se sont tous attroupés devant notre porte afin de comprendre enfin ce qui se passait. Notamment ceux qui vivent le plus proche de nous, géographiquement et amicalement parlant. Deux dames se sont interposées dans la crise et ont commencé à parler avec la voisine hystérique, tentant de lui faire comprendre que tout le monde fait des travaux ici, et que c'est l'affaire de quelques semaine seulement avant que le calme ne revienne. Là-dessus l'autre s'échauffe et se met à les insulter de tout un tas de choses pas belles, et notamment de "chiennes des étrangers"... Ce qui est très, très méchant. Et de plus, elle s'en est prise cette fois-là à la personne la plus respectée de la ruelle, tant pour son âge que pour sa sagesse. Ce qui je crois était une grave erreur. La voisine n'était déjà pas très bien vue dans le quartier, mais j'ai l'impression qu'elle s'est discréditée pour toujours.

Depuis ce moment je me dis que notre intégration dans le quartier va plus loin que tout ce que nous pouvons imaginer. D'abord les relations entre les gens sont chargées de tout un tas de petites histoires que nous ne connaissons pas et qui influencent chaque événement de la vie du quartier. Mais plus que cela, il y a autour de nous un mode de réglement des conflits au coeur du quartier, qui repose sur les habitants et qui se règle au sein de la communauté. Celle-ci nous est apparue soudain organisée de façon très subtile et beaucoup plus élaborée que ce que nous avions imaginé tout d'abord. Et dans un monde où l'intimité est difficile à trouver, le critère principal de règlement de cette affaire était la paix publique, le calme pour tous, le bien commun en somme.

Malgré les accusations de la voisine, je ne pense pas que le fait que nous sommes étrangers ait joué de quelque façon que ce soit dans le règlement du problème. Quelqu'un vient troubler le calme de la ruelle, donc la communauté s'en charge, incarnée dans la personne la plus charismatique du coin. Et nous sommes de fait imbriqués dans cette communauté, nous en avons joué le jeu sans même le savoir, nous sommes soumis à ses règles et nous en bénéficions en retour. Peu importe notre mode de vie bizarre, les langues diverses que nous parlons, les fêtes estivales et la quantité de brochettes de mouton que nous avalons. Nous sommes là et c'est assez pour être défendus (ou attaqués le cas échéant) au nom du bien commun. Au passage, c'est une jolie leçon de tolérance.

Et ce n'est pas seulement par amitié. Cela va bien plus loin je crois. Ce que nous appelons "amitié" avec nos voisins comporte tout un tas d'engagements réciproques et de promesses d'entraide, pour le bien de la communauté. On dirait que des liens se tissent à chaque événement, comme des lacets se resserrent. Maintenant il nous reste à découvrir tout ce que cet entrelacement signifie pour nous et nos voisins. (Surtout pour notre ami qui est concerné par le conflit, en fait). C'est un peu inquiétant, et c'est un peu rassurant aussi. Apparemment on n'est pas prêt d'arrêter de faire griller les brochettes ensemble!

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S
C'est la première fois que je viens sur ton blog. Bravo... Ton blog est très agréable à lire, plein de finesse et d'humour. Bonne continuation!
Pékinoscope
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